À l’oreille, le terme « télémédecine » sonne moderne et technologique. Pourtant, si on se fie à sa stricte définition — qui est « la médecine à distance » —, le concept englobe aussi bien le simple coup de téléphone d’un médecin à son patient qu’une consultation virtuelle complète effectuée sur Zoom ou Teams, incluant une auscultation, un diagnostic et une prescription de médicament.
C’est tout l’enjeu de cette approche. Qu’entend-on par télémédecine ? Quand et comment compte-t-on s’en servir ? Au début de la pandémie, les professionnels de la santé se sont massivement tournés vers la téléconsultation pour continuer de traiter leurs patients, sauf que le déploiement s’est fait à géométrie variable, dépendant que l’on se trouve dans le réseau public, le secteur privé, en médecine de première ligne ou en soins spécialisés.
« Un de nos bons coups a été de prioriser l’accès à la télémédecine dans les CHSLD dès le début de la pandémie », raconte Sabrina Lapointe, coordonnatrice de la télésanté au CIUSSS de l’Estrie — CHUS. Des tablettes ont été distribuées aux patients, nous informe-t-elle ; des médecins ont été équipés de casques d’écoute, puis formés sur la plateforme Teams pour offrir des consultations virtuelles.
L’autre front sur lequel le réseau de la santé a été très actif est les soins spécialisés. « Nous avons équipé les médecins spécialistes, ainsi que la grande majorité des professionnels en hôpital : ergothérapeutes, physiothérapeutes, orthophonistes, infirmières pivots en oncologie », explique la coordonnatrice de la télésanté en Estrie. Des prêts individuels de tablettes « avec données » ont été faits à des patients en régions éloignées, par souci d’équité.
Du côté des Groupes de médecine familiale (GMF) et des médecins généralistes, l’adoption a été plus mitigée. Lors d’un sondage effectué par la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec, la quasi-totalité des omnipraticiens (99 %) a affirmé avoir fait des consultations « à distance » en période de pandémie, mais seulement 52 % de répondants se sont donné la peine d’offrir à leurs patients une consultation « virtuelle ». Puis, si on s’intéresse plus précisément aux médecins de famille présents dans les GMF « publics », un sondage mené de mai à août 2020 montre qu’à peine 1 % d’entre eux ont utilisé la vidéoconférence « souvent », 3 % « quelques fois » et 95 % « jamais ou rarement ».
Dre Nathalie Saad, pneumologue et vice-présidente du Collège des médecins du Québec, reconnaît qu’il existe une « impression partagée par les médecins » que « le téléphone a été l’outil le plus disponible et facile à implanter en première ligne ». « Lorsque la pandémie est arrivée, les cliniques [du réseau public] n’étaient probablement pas aussi bien préparées que [les entreprises de télésanté] du secteur privé pour prendre le virage de la télésanté ; ces dernières s’organisaient depuis plusieurs années, en développant leurs propres plateformes. En première ligne, il y a plusieurs [logiciels] de Dossier médical électronique (DME) qui commencent à intégrer la capacité de faire des consultations par vidéoconférence. Tranquille, ça commence. »
Vers une continuité de soins
Dans un livre intitulé Health is made at home, hospitals are for repairs, l’ancien directeur général du National Health Service (le système de la santé publique du Royaume-Uni), Nigel Crisp, propose une vision d’un système de santé où la prévention et les suivis sont faits à distance, à domicile, alors que les hôpitaux sont réservés pour les traitements.
Et c’est ce qui semble se dessiner dans le réseau québécois, à certains égards. La plateforme « Suivi virtuel en milieu de vie » permet à des professionnels traitants de suivre l’état de santé de leurs patients en leur soumettant un questionnaire quotidien ; l’application est entre autres utilisée pour faire le suivi des symptômes COVID en CHSLD et en résidences privées, ainsi que des grossesses à risque et des suivis postopératoires. Il est aussi possible, depuis quelques années, de suivre à distance des malades chroniques à l’aide d’appareils connectés, tels que des glucomètres ou des moniteurs de pression artérielle.
Toutefois, Dre Nathalie Saad ne partage pas cette vision « dichotomique » entre les soins d’un côté (à l’hôpital) et la prévention de l’autre (à la maison). « La manière dont la télémédecine sera utilisée risque de nous surprendre, annonce-t-elle. L’hôpital à la maison, ça existe déjà dans certaines provinces et dans certains pays. » L’hôpital universitaire John Hopkins décrit « l’hôpital à la maison » comme un modèle « innovant » où une organisation de santé fournit aux patients des soins « aigus » ou de courte durée à la maison. Traditionnellement, les professionnels de la santé (infirmières, physiothérapeutes ou autres cliniciens) intervenaient en personne à la maison ; avec la télémédecine, on peut imaginer qu’une partie des traitements se feront à distance.
Parvenue à maturité, la télémédecine a le potentiel de resserrer les liens d’une communauté, croit pour sa part Sabrina Lapointe. « Imaginons un patient âgé, atteint du cancer, qui doit rencontrer son médecin oncologiste et qui aimerait être accompagné par son enfant [adulte], qui habite dans une autre ville ; son enfant pourra alors se joindre à la séance virtuelle. Un parent qui est retenu au bureau, mais qui aimerait malgré tout assister à la séance d’orthophonie de son enfant, pourrait le faire à distance. » Une belle vision, qui reste maintenant à concrétiser !
Journaliste